Le harcèlement moral

Le livre de Marie-France HIRIGOYEN, « Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien », a eu un retentissement considérable en France lors de sa première parution dans les années 1990. Ce retentissement n’était que l’écho de la manifestation de plus en plus fréquente de comportements déplacés, agressifs, destructeurs voire déviants, dans le milieu professionnel, mais aussi dans la vie privée.

Même si ce problème, centré sur la manipulation et la prise de pouvoir abusive, a probablement toujours existé, les psychologues et les psychiatres constatent que le phénomène prend constamment de l’ampleur, même si les outils pour se préserver du harcèlement -permettant de le détecter plus facilement- se sont répandus.

Dans les cas les plus dramatiques, celui (ou celle) qui exerce le harcèlement moral est un véritable agresseur, qui agit de façon sournoise et dans une intelligence presque diabolique des limites à ne pas dépasser pour continuer de ferrer sa proie sans qu’elle ne s’échappe… jour après jour.

L’agresseur s’appuie souvent sur la bonne foi et la sincérité de celui sur qui il entend prendre un pouvoir qu’il souhaiterait absolu, et utilise cette bonne volonté pour faire jouer les leviers de la culpabilité et du dénigrement.

Un des obstacles majeurs à la lutte contre le harcèlement moral est que tant qu’on ne l’a pas subi soi-même ou observé de près sur une victime, il est très difficile de mettre des mots sur le vécu qui pourtant engendre une véritable souffrance pouvant aller jusqu’au traumatisme à long terme (perte de confiance et de repères, dépression, dégoût pour le travail, apathie, troubles métaboliques et hormonaux, etc.).

Isabelle NAZARE-AGA a écrit un livre particulièrement éclairant : « Les manipulateurs sont parmi nous », qui présente notamment une liste des symptômes existant chez les deux protagonistes -agresseur et victime-, permettant de prendre des repères objectifs dans le cas où l’on cherche à confirmer un cas de harcèlement par exemple.

Outre ces précurseures, de nombreux auteurs se sont penchés sur cette thématique du harcèlement, parallèlement à son essor dans l’entreprise. Il est d’ailleurs profondément regrettable que certaines techniques de management (management « de transition », management « par la terreur », etc.), aient sciemment mis au point des protocoles destinés à exercer une pression sur des salariés dont on souhaite se débarrasser (plans de licenciement, restructuration, etc.). En effet, le harcèlement n’est pas toujours le fait d’un individu caractériel et pervers. Il peut être la résultante d’un système qui est lui-même pervers et qui pratique un tel mode de gestion des « ressources humaines » sous couvert d’impératifs économiques.

L’étendue du phénomène dans les entreprises présente l’avantage que de nombreux managers ou chefs d’équipes ou de projets, ont connaissance de l’existence du harcèlement. Dans ce cas, ils peuvent, simplement par la reconnaissance et l’écoute qu’ils peuvent apporter au salarié victime de harcèlement, apporter un soutien très important. Il n’y a rien de plus difficile pour une victime qui cherche du secours, que de se heurter à l’isolement ou à l’indifférence, dans laquelle son harceleur cherche à la maintenir pour continuer d’exercer son pouvoir. Même si les preuves sont toujours difficiles à fournir puisque le harceleur manipule sa victime habilement et sans témoins, la victime se sentant entendue et comprise, trouvera plus facilement la force de réagir.

Deux principales erreurs d’appréciation peuvent être faites dans les cas de harcèlement :

  • sous-estimer les conséquences du harcèlement sur la personne qui en est victime ; elles sont réelles et délétères, aussi bien psychiquement que physiquement, surtout sur le long terme ;
  • penser que la victime l’aurait « cherché » n’a pas de sens. Les manipulateurs et harceleurs ont besoin de victimes pour asseoir leur pouvoir : ils s’en prendront aux personnes sincères et de bonne volonté, qui sont capables de se remettent en question. Lorsqu’une proie leur échappe, ils en cherchent une autre (un étudiant en thèse remplacera le précédent qui a jeté l’éponge…).

Les personnes victimes de manipulation ou de harcèlement moral de la part d’un ou d’une supérieur(e) hiérarchique, ont d’autant plus intérêt à réagir rapidement que ce supérieur est proche d’elles et ont du pouvoir sur elles. Le cas n’est pas rare de voir des doctorants victimes de ce genre d’agissements : ils sont typiquement en situation de faiblesse et de dépendance vis-à-vis de leur directeur/directrice de thèse. La prise de pouvoir par ce dernier est très facile et peut être tentante… Il en va de même dans tout type de relation hiérarchique.

Dans certains cas il est possible de « redresser la barre », dans d’autres cas -les plus graves- la fuite est la meilleure voire la seule solution (cf. Henri Laborit : « Eloge de la fuite »). C’est ce qui est très cruel dans le cas des doctorats : le doctorant, s’il renonce à sa thèse, renonce à ses espoirs de carrière ; mais s’il persiste dans une relation où il est victime de harcèlement, il risque sa santé…

Plus le processus est engagé, plus il aura eu le temps de faire des ravages, et plus la victime aura besoin de temps pour se reconstruire : restaurer sa confiance en elle, son goût pour l’action, retrouver la santé et le bien-être.

Il est tout à fait possible en travaillant sur les faits objectifs et en posant des actes, de desserrer l’étau dans laquelle la victime est enserrée. Plus tôt on agit, mieux c’est…